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je la gardois avec moi une heure ou deux sans faire attention que nos badinages fesant du tracas deplairoient à l’abbé Ceruti, qui n’étant separé de la chambre où nous badinions que par la cloison des planches devoit entendre jusqu’à nos paroles, et souffrir avec beaucoup d’impatience nos joyeux entretiens tandis que Marguerite ne fesoit rien pour éteindre un peu le feu dont il bruloit.

Fort surpris, un jour vers minuit j’ai trouvé entrant Une fois entrant chez moi vers minuit, je fus fort surpris de trouver dans ma chambre, au lieu de Marguerite, sa mere — Où est donc votre fille ? — Ma fille dort. Je ne peux plus permettre en conscience qu’elle reste chez vous toute la nuit — Elle ne reste que jusqu’au moment qu’allant me coucher je lui dis de s’en aller, et cette nouveauté m’offense, car elle me fait trop evidemment connoitre vos injustes soupçons. Qu’est ce que Marguerite a pu vous dire ? Si elle s’est plainte, elle en a menti, et demain je sortirai de chez vous. — Vous auriez tort : Marguerite ne m’a rien dit : au contraire elle soutient qu’avec elle vous ne faites que rire — Fort bien. Trouvez vous qu’il y a du mal à rire ? — Non ; mais vous pouvez faire autre chose — Et sur cette possibilité vous avancez en attendant un soupçon indigne qui doit blesser votre conscience, si vous êtes bonne chretienne — Dieu me preserve de soupçonner mon prochain ; mais je fus avertie que vos rires, vos badinages sont si eclatans qu’il n’y a pas à douter que vos entretiens ne soient contraires aux bonnes mœurs — C’est donc l’abbé mon voisin qui eut l’indiscretion de vous inquiter ? — Je ne peux pas vous dire de qui je le sais ; mais je le sais — Tant mieux pour vous. Je vais loger ailleurs demain : par là je mettrai votre conscience en repos — Mais ne puis-je pas vous servir comme ma fille ? — Point du tout. Votre fille me fait rire, et j’en ai besoin. Vous n’etes pas faite pour me faire rire. Je pars demain vous dis-je. Vous m’avez insulté, et cela ne doit pas arriver une autre fois — Cela me deplairoit à cause de mon mari qui voudroit en savoir