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Il me dit que j’en aurois le lendemain ; mais que dans sa famille personne n’en mangeoit que Lia. Lia donc, lui dis-je, en mangera avec moi, et je lui donnerai à boire du vin purissimo du royaume de Chypre.

J’en ai demandé au consul de Venise le même matin allant lui porter une lettre de M. Dandolo. Ce consul étoit un venitien de l’ancienne roche. Il avoit entendu parler de moi, et il se montra tres content de me connoitre. C’étoit un vrai Pantalon de comedie sans masque, gai, plein d’experience, et gourmet. Il me donna pour mon argent du veritable vin de Scopolo, et du masquat de Chipre tres vieux ; mais il fit les hauts cris quand je lui ai dit que je logeois chez Mardoquée, et par quel hazard j’y etois alle. Il me dit qu’il étois riche ; mais qu’etant un grand usurier il me traiteroit mal si j’avois besoin d’argent. Après l’avoir averti que je ne voulois partir qu’à la fin du mois, et sur un bon vaisseau je suis allé diner chez moi, ou je me suis trouvé tres content. Le lendemain j’ai écrit tout le linge, et les bas de soye que j’ai donné à la servante, comme Mardoquée me l’avoit dit ; mais un moment après il est venu avec Lia, parcequ’elle voulut savoir comment je voulois qu’elle lava les dentelles qui étoient attachées à mes chemises puis il la laissa avec moi. Cette fille de dix huit à vingt ans qui de tres bonne foi parut devant moi en cors avec son sein ferme, et blanc plus qu’albatre devouvert tant qu’il pouvoit l’être m’emut, et elle s’en seroit apperçue si elle s’en étoit dout en s’en doutant elle m’avoit regardé. M’etant remis, je lui ai dit d’avoir soin de tout mon linge avec toute la diligence possible sans croire que j’aime le meilleur marché. Elle me repondit qu’elle en auroit donc soin toute seule si je n’étois pas pressé. Je lui ai repondu qu’elle seroit la maitresse de me faire rester chez elle tant qu’il lui plairoit, et elle ne fit la moindre attention à cette explication. Je lui ai dit que j’étois content de tout hormis du chocolat que j’aimois battu, et ecumeux, et elle me repondit qu’elle le feroit elle même. Dans ce cas, lui dis-je, je vous donnerai dose double, et nous le prendrons ensemble. Elle me dit qu’elle ne l’aimoit pas — Mais vous aimez le foye d’oye ? — Beaucoup ; et au-