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exceptée qui m’a attendue, et que j’ai bien etrennée. J’ai amené des propos pour la faire parler de Lia, et elle ne m’a dit rien qui vaille. Lia étoit une bonne fille, qui travailloit toujours que toute la famille aimoit, qui n’avoit jamais ecouté un amoureux. Quand Lia l’auroit payée cette servante n’auroit pas pu parler autrement.

Mais Lia vint le matin me porter du mon chocolat, et s’assit sur mon lit me disant que nous avions un foye excellent, et que n’ayant pas soupé elle dineroit avec un tres bon appetit. Elle me dit que ce qui l’avoit empechée de souper avoit été l’excellent muscat de Chypre, dont son pere étoit fort curieux. Je lui ai dit que nous lui en donnerions. Lia étoit là, comme elle avoit été la veille. Ses seins me desoloïent, et il me sembloit impossible qu’elle en meconnut la puissance. Je lui ai demandé si elle savoit que sa gorge étoit tres belle. Elle me repondit que toutes les gorges des filles étoient comme la sienne — Savez vous, lui dis-je, qu’en la voyant je ressens un plaisir extreme ? — Si c’est vrai, j’en suis bien aise, car en vous laissant jouir de ce plaisir je n’ai rien à me reprocher. Une fille d’ailleurs ne cache pas sa gorge plus que son visage excepté quand elle est en grande compagnie.

En me parlant ainsi la friponne regardoit un petit cœur d’or traversé d’une fleche couverte de petites brillans carats avec le quel je joignois le jabot de ma chemise — Trouvez vous, lui dis-je ce jol cœur joli ? — Charmant. Est il fin ? — Oui. Et c’est cela qui m’encourage à vous le presenter.

Je le detache alors pour le lui donner ; mais elle me dit d’un air doux, et en me remerciant qu’une fille qui a intention de ne rien donner ne doit rien accepter. Je la prie de l’accepter, et je lui donne parole d’honneur de ne lui demander jamais la moindre faveur ; elle me repond qu’elle se reconnoitroit tout de même ma debitrice, et qu’elle ne recevroit jamais rien.

Après cette explication j’ai vu qu’il n’y avoit rien à faire,