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la raison ; et je ne saurois que lui dire — Je ne m’embarasse pas de ce que votre mari pourra en dire. Je partirai demain. Je vous pria de vous en aller, car je veux aller me coucher — Laissez que je vous serve, que j’ôte vos souliers — Vous ne m’oterez rien. Si vous voulez que je soye servi, faites venir Marguerite — Elle dort — Reveillez la.

Elle partit allors ; et trois minutes après voila Marguerite presqu’en chemise, qui n’ayant pas eu le tems de remettre son œuil me fit eclater de rire — Je dormois, et ma mere m’a dit que je vienne vous persuader à ne pas sortir de chez nous, parceque cela feroit mal penser à mon pere — J’y resterai ; mais vous poursuivrez à venir seule dans ma chambre — Je le veux bien ; mais nous ne rirons pas, car l’abbé s’en est plaint — C’est donc l’abbé, qui a averti votre mere ? — En doutez vous. Notre joye l’a aigri. Notre gayeté a irrité sa passion — C’est un gueux qu’il faut punir. Si nous avons ris avant hyer, nous rirons d’avantage cette nuit.

Après cet accord nous fimes toutes les follies possibles accompagnées de risées à tout moment, qui dûrent desesperer l’indiscret. Dans le plus beau de nos folies, qui duroient depuis plus d’une heure, voila la porte qui s’ouvre ; c’étoit la mere de Marguerite, qui entroit croyant de nous trouver en flagrant delit. Elle me voit coiffé avec le bonnet de Marguerite, et Marguerite à la quelle j’avois fait des moustaches avec de l’encre. Elle dut en rire aussi. Eh bien, lui dis-je, touvez vous cela bien criminel ? — Non, et je vois que vous avez raison ; mais songez que vos innocentes orgies empechent de dormir votre voisin — Qu’il aille dormir ailleurs. Je ne me generai pas. Je vous dirai même que vous n’avez qu’à choisir entre lui, et moi. Je ne reste chez vous que sous condition que vous le renverrez, et je prens sa chambre pour moi — Je ne peux le renvoyer qu’à la fin du mois ; mais je prevois qu’il dira à mon mari des choses,