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enverrez à Lauback chez ma tante.

Strasoldo alors finit de me faire pitié, car après être descendu à lui faire les plus rampantes prieres, il se mit à pleurer. Cela me revolta. Mais Pittoni manqua de m’impatienter quand il me dit que je devrois chasser de ma chambre cette drolesse. Je lui ai dit d’un air ferme qu’il n’étoit pas fait pour m’aprendre à faire mon devoir, et que je ne convenois pas que cette fille fut une drolesse. Changeant de ton, il se mit à rire, et il me demanda s’il etoit possible que j’en fusse devenu amoureux dans le court espace d’une nuit. Strasoldo l’interrompit lui disant qu’il étoit sûr qu’elle n’avoit pas couché avec moi, et elle lui dit qu’il se trompoit puisqu’il n’y avoit qu’un lit.

Vers midi ils partirent, et la pauvre Lenzica s’evertue en remercimens. Le mystere étant alors fini j’ai fait monter à diner pour deux, et la voiture étant toujours là je lui ai promis de rester avec elle sans jamais sortir tant que Strasoldo se trouveroit encore à Trieste.

À trois heures le consul de Venise vint me dire que Strasoldo étoit allé se recomander à lui pourqu’il tachat de me persuader à lui rendre Lenzica. Je lui ai dit que c’étoit à elle qu’il devoit s’adresser, et quand il sut tout il nous laissa nous disant que nous avions raison tous les deux. Vers le soir un crocheteur porta dans ma chambre la mâle de cette fille que dans ce moment là j’ai vue touchée, mais non pas changée d’avis. Elle soupa, et coucha avec moi la seconde nuit, et Strasoldo partit à la pointe du jour. J’ai alors pris une voiture, et j’ai conduit ma chere Lenzica jusqu’à deux postes sur le chemin de Lauback où après avoir bien diné avec elle je l’ai laissée chez une femme de sa connoissance. Tout le monde à Trieste trouva que j’en avois bien agi, et Pittoni meme dit qu’à ma place il ne se seroit pas reglé differament. Mais le pauvre Strasoldo finit mal. Il fut employé à Leopol, il y fit des dettes, et il devint coupable de peculat. Pour eviter de payer de sa tête il se sauva en terre Turque,