Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
217. 283
[132r]


J’y fus, j’y ai soupé en compagnie d’etourdis jeunes marchands tous amoureux d’elle. Après souper elle fit une petite banque, et nous commençames tous à ponter. Mais ma surprise ne fut pas petite lorsque j’ai connu sans pouvoir en douter qu’elle filoit la carte tres habilement, et toujours à propos. Il me vint envie de rire lorsque je l’ai vue exercer son talent contre moi même. Je n’ai rien dit, et je suis parti avec les autres après voir perdu quelques florins. C’etoit une bagatelle ; mais je n’ai pas voulu qu’Irene me prenne pour dupe. Je l’ai vu le lendemain à une repetition au theatre, et je lui ai fait compliment sur son habilete : elle fit d’abord semblant de ne pas m’entendre, et quand je lui ai dit de quoi il s’agissoit elle osa me dire que je me trompois ; mais lorsque je lui ai dit en lui tournant le dos qu’elle se repentiroit de ne pas vouloir convenir de la chose, elle me dit en riant que c’étoit vrai, et que si je voulois lui dire ce que j’avois perdu elle étoit prêt à me rendre mon argent, et meme à m’interesser dans sa banque sans que personne le sut, son mari excepté. Je lui ai dit que je ne voulois ni l’un ni l’autre, et meme que je ne me trouverois plus present à sa partie ; mais de prendre bien garde à ne pas faire faire des lessives à quelqu’un de ses amis, car on le sauroit, et pour lors on la mettroit à l’amende puisque le jeu etoit rigoureusement defendu. Elle me dit qu’elle le savoit, qu’elle ne tenoit à personne sur la parole, et que tous ces jeunes gens lui avoient promis le secret. Je lui ai dit que je n’irois plus souper avec elle ; mais qu’elle me fora plaisir de venir dejeuner avec moi quand elle en auroit le tems. Elle vint quelques jours après avec sa fille qui me plut, et qui ne me refusa pas des caresses. Elle vint un matin Un beau matin elle se rencontra avec le baron Pitoni