Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27. 27
[16r]


à la grille avec son amie l’objet de sa tendresse que quand le hazard le vouloit. En cinq ou six mois il n’avoit joui du bonheur de la voir que huit à dix fois. Sa sœur savoit qu’il l’adoroit, et elle avoit pour lui toutes les complaisances qu’il pouvoit desirer ; mais elle n’étoit pas la maitresse de la faire descendre à la grille, et elle n’osoit pas demander cette grace à la religieuse sa superieure qui auroit pu la lui accorder, car si elle eut pu soupçonner que l’amour étoit de la partie, elle ne lui auroit plus permis de descendre même par hazard. Je me suis donc determiné d’aller avec Marcuccio Menicuccio faire une visite à sa sœur.

Il m’instruisit, chemin fesant, que cette maison étoit fort pauvre ; que les femmes qui en avoient la regie ne pouvoient pas proprement s’appeller religieuses, car elles n’avoient fait aucun vœux, et elles ne portoient pas même un habit uniforme ; mais que malgrè cela elles n’etoient pas tentées de sortir de leur prison, car elles se verroient reduites par defaut de subsistence à mendier leur pain, ou à chercher de se placer comme servantes dans quelque maison. Les jeunes filles arrivées à l’age de puberté sortiroient de là en prenant la fuite, si elles le pouvoient ; mais la maison étoit si bien gardée, qu’il étoit impossible de s’enfuire.

Nous arrivames à une vaste maison mal batie dans une place près d’une porte de Rome, solitaire, et deserte puisque n’étant d’aucun passage il falloit y aller exprès. Je fus surpris entrant dans le parloir de voir la forme des cruelles grilles, dont il étoit environné. Les trous carrés de ces grilles etoient si petits qu’on ne pouvoit y intro-