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cuccio jeune ami m’alloit à l’ame : je trouvois que ce devoit être par là que les aveugles devenoitent amoureux, et que l’amour devoit devenir si fort comme celui qui tiroit sa naissance de la vue. Celle qui avoit sous sa garde la sœur de Marcuccio Menicuccio etoit une fille qui n’avoit pas encore trente ans. Elle me dit que les filles qui arrivoient touchoient à l’age de vingt cinq ans étoient faites gouvernantes des jeunes, et qu’a trente cinq elles pouvoient sortir de cette prison pour ne plus y rentrer ; mais que celles qui prenoient ce parti étoient fort rares, car elles craignoient la misere — Vous avez donc beaucoup de vieilles — Nous sommes cent, et le nombre ne diminue jamais parcequ’à chaque mort ou reclute ; mais les vieilles ne sont que cinq à six ; dix à douze on l’age de quarante à cinquante ans, vingt cinq ou trente ont celui de trente à quarante, et tout la reste est jeune hormis neuf ou dix qui sont encore enfans — Et celles qui sortent pour se marier, comment ont elles fait pour faire devenir amoureux l’epoux ? — Depuis vingt ans que je suis ici, je n’en ai vu sortir pour se marier que quatre, qui n’ont connu l’epoux qu’après être sorties. Celui qui va demander au cardinal protecteur une de nous autres est un sot desesperé qui a besoin de cent cequins ; mais le cardinal ne lui accorde la grace qu’il demande que sûr qu’il fait un metier par le quel il pourra bien vivre avec sa femme — Et pour le choix ? — L’epoux prononce sur l’age que la fille devra avoir, et sur son talent, et le cardinal se raporte à la superieure — Et si l’epoux, ou l’epouse en se voyant ne se trouvant pas contents l’un de l’autre ? — Dans ce cas là on ne fait rien, et la fille retourne dans le couvent ; mais cela n’arrive jamais — J’imagine que