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Armelline qui ne conservoit plus sa figure riante lorsque je m’avisois de lui demander si elle savoit en quoi consiste la difference qui passe entre une fille, et un garçon.

Après l’opera Armelline me dit qu’elle avoit bon appetit depuis huit jours qu’elle n’avoit presque rien mangé à cause du chagrin qu’elle avoit eu de ne plus me voir. Je lui ai repondu que si j’avois su cela j’aurois ordonné un bon souper tandis que nous ne mangerons que ce que l’aubergiste nous donnera — Combien seron nous ? — Rien que nous trois — Tant mieux. Nous serons bien libres — Vous n’aimez donc pas la princesse — Je l’aime ; mais elle veut des baisers, qui ne conviennent pas m’etonnent — Vous lui en avez donné cependant, et de tres amoureux — J’eus peur, ferant autrement, qu’elle s’imagine que je suis une sotte — Me feriez vous le plaisir de me dire, si vous croyez d’avoir commis un peché en lui donnent ces baisers ? — Non certainement, car je n’y ai eu aucun plaisir — Pourquoi donc n’avez vous pas fait cet effort pour moi aussi ?

Elle ne me repondit pas, et nous arrivames à l’auberge où j’ai fait faire bon feu, et ord j’ai ordonné la un bon soupé. Le valet me demanda si je voulois des huitres, et voyant que les filles étoient curieuses de savoir ce que c’étoit, je lui en ai demandé le prix. Il me dit qu’elles étoient de l’arsenal de Venise, et qu’il ne pouvoit les donner que pour cinq cequins cinquante pauls le cent., et j’y ai Je suis content ; mais je veux consenti. J’ai voulu qu’on les ouvre à ma presence.

Armelline étonnée que son caprice alloit me couter dix cinq ecus romains me pria de revoquer l’ordre ; mais elle se tut lorsque je lui ai dit que rien ne me paroissoit cher lorsque je prevoyois que je pouvois lui procurer un plaisir. À ma reponse elle me prit la main, que j’ai retiré avec depit lorsqu’elle la portoit à sa bouche : j’ai ayant fait cela un peu trop brusquement à la verité, et Ar­ Armelline resta mortifiée. J’étois assis devant le feu entr’elle, et