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exquis ; ma parceque à chaqu’huitre que nous avalions, nous avalions un demi paul — Un demi paul ? dit Armelline et notre seigneur le Pape ne le defend pas ? Si ce n’est pas un peché de gourmandise, je voudrois savoir ce qu’on entend par gourmandise. Je mange ces huitres avec plaisir ; mais je t’assure que je veux m’en accuser en confession pour voir ce que le Confesseur me dira.

Ces naivetés me rendoient heureux dans l’ame ; mais j’avois besoin de l’etre dans le corps. Mon amour qui mouroit de faim envioit le sort de ma bouche. En mangeant cinquante huitres nous vuidames deux bouteilles de champagne mousseux, qui fit rire ces bonnes filles, qui se trouvoient obligées a commettre l’indecente faute du renvoye renvoi. Que j’étois faché de ne pouvoir pas me livrer au rire, et devorer de baisers Armelline que je ne pouvois devorer que des yeux. J’ai dit au valet de servir le souper, gardant les autres huitres au dessert. Elles étoient surprises de se trouver l’appetit plus vif après avoir mangé seize morceaux si excellens. Armelline me paroissoit devenue amoureuse : j’avois besoin de me flatter, et de l’esperer. Comptant un peu sur Baccus j’ai defendu l’eau. Nous eumes un souper des plus fins pour une auberge. Mes pauvres heroïnes s’en donnerent. Emilie même etoit toute en flammes. J’ai fait porter de citrons, et un bouteille de Rhum du sucre, et une grande jatte, et de l’eau chaude, et apres avoir fait mettre sur la table les autres cinquante huitres, j’ai renvoié le valet. J’ai fait un grand punch que j’ai animé avec un en y versant une bouteille de Champagne. Après avoir avalé cinq à six huitres, et bu du punch, qui fit faire les hauts cris àux deux filles, car elles se trouvoient excedées par les charmes de cette boisson, je me suis avisé de prier Emilie de me mettre dans la bouche avec ses propres levres une huitres, Vous avez