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beaucoup de choses de son mari, de sa mere, et de toute la famille, elle finissoit sa lettre par me dire qu’elle étoit heureuse d’etre grosse en cinq six mois, et qu’elle se trouveroit encore plus heureuse si Dieu, ( car Dieu fait tout ) lui accorderoit la grace d’accoucher d’un garçon. Elle me prioit d’en faire compliment au marquis.

Soit nature, soit education, cette nouvelle m’a fait frissonner. Je lui ai repondu quelques jours après en envoyant ma lettre ouverte incluse dans une de compliment que j’ai écrite à son mari, que les graces que Dieu accorde n’arrivent jamais trop tard, et que jamais nouvelle ne m’avoit interessé d’avantage. Leonilde dans le mois de Mai accoucha d’un garçon que j’ai vu l’année passé en à Prague au couronement de l’empereur Leopold, chez le prince de Rosemberg. Il s’appelle marquis de la C… comme son pere marquis de la C…, qui vecut jusqu’à l’age de quatrevingt ans. Quoique mon nom lui fut inconnu, je me suis fait presenter, et j’ai joui de sa conversation une autre fois au spectacle. Il étoit avec un abbé tres instruit qu’on appelloit son gouverneur ; mais il n’en avoit pas besoin, car à l’age de vingt ans il avoit la sagesse que peu d’hommes ont à soixante. Ce qui me fit un veritable plaisir, et des plus sensibles fut la ressemblance de ce garçon au feu marquis mari de sa mere. Ce fut cette reflexion qui m’arracha des larmes songeant à la satisfaction que cette ressemblance devoit avoir causé à ce brave homme egalement qu’à la à la mere egalement qu’au pere mere. Je lui ai écrit, et j’ai chargé de la lettre son fils. Elle ne l’a reçue qu’à son retour à Naples dans le carnavel de ??? l’année 1792, et j’ai d’abord reçu une reponse dans la quelle elle m’invite au mariage de son fils, et à aller finir mes jours dans sa maison. Peut être irai-je.

J’ai trouvé à trois heures la princesse de Santa Croce au lit, et le Cardinal qui lui tenoit compagnie. La premiere chose qu’elle me demanda fut la raison qui m’avoit fait quiter l’opera à la fin du second