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roit chez Roland vis à vis de S.t Charles, où demeuroit la Gabrieli illustre chanteuse qu’on surnommoit la Coghetta à la quelle le prince D. G. Battista Borghese fesoit une cour assidues.

D’abord que ce jeune florentin fut parti j’ai volé à S. Paul, où il me tardoit de voir la mine que me feroient mes vestales, que j’avois si bien initiées. Elles parurent devant moi ayant sur leur figure un caractere tout opposé à celui qu’elles avoient dans les jours precedens. Emilie etoit devenue gaye, et Armellina triste. J’ai d’abord dit à Emilie que dans trois jours je lui porteroits la plus ample dispense des publications, et que dans huit tout au plus tard elle auroit le billet du Cardinal Orsini entre les mains de la superieure pour recevoir quatre cent ecus, et son congé, et que dans le même jour je lui porterois deux cent ecus provenans de graces, dont je retirerois l’argent des que j’aurois le certificat de son mariage. Hors d’elle même par cette nouvelle elle quita la grille pour courir la donner à la superieure.

J’ai alors pris les mains de ma pauvre Armelline et en y imprimant dessus des baisers qui partoient de mon ame je l’ai conjurer de quiter son air de tristesse — Que ferai-je ici me dit elle sans Emilie ? Que ferai-je ici quand vous serez parti ? Je suis malheureuse. Je ne m’aime deja plus.

J’ai cru de mourir de douleur en la voyant pleurer apres m’avoir dit ces quatre paroles. Je n’ai pas pu me tenir. Je lui ai donné parole de ne pas quiter Rome avant de la voir mariée, et de lui faire une dot de mille ecus — Je ne me soucie pas des mille ecus ; la parole que vous me donner de ne partir de Rome sans me voir auparavant mariée me rend l’ame, et je ne demande pas d’avantage ; mais si vous me manquez j’en mourois. So-