Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78 78.
[45v]


yez en sûr — Je vous en donne parole, et je mourrai plus tot que vous manquer. Pardonnez, ma chere Armelline, à l’amour qui m’a peut être trop egaré avant hyer — Soyez mon constant ami, et je vous pardonne tout — Laissez que je baise pour la premiere fois votre belle bouche.

Après ce baiser qui me promit tout ce que je pouvois desirer, elle essuya ses larmes, et Emilie parut avec la Superieure, qui me dit tout ce qu’elle pouvoit me dire de plus obligeant. Elle me dit que je devois me disposer à m’interesser pour une autre fille qu’elle comptoit de donner pour camarade à Armelline d’abord qu’Emilie s’en iroit. Je lui ai promis de faire tout ce qu’elle m’ordonneroit, et en meme tems je l’ai priée de permettre qu’elles aillent avec moi le même soir à la comedie à Tordi Nona. ; et elle me dit qu’elles seroient prêtes.

D’abord qu’elles resterent seules je leur ai demandé pardon, si j’avois disposé d’elles sans leur consentement. Emilie me dit qu’elles seroient des veritables monstres si après tout ce que je fesois pour elles, elles pussent me refuser quelque chose — Et vous, ma belle Armellina, vous refuserez vous à ma tendresse ? — Non, mon ami, mais dans les bornes que la sagesse ordonne. Point de Colin-Maillard par exemple — Ah ! mon Dieu ! C’est un si joli jeu. Vous m’affligez — Trouvez en un autre, me dit Emilie.

Emilie étoit devenue ardente, et cela me deplaisoit, car j’avois peur qu’Armellina en dêvint jalouse. Je pouvois avoir cette crainte, en connoissant le cœur humain, sans la moindre fatuité.

Je suis allé en les quitant me procurer une loge à Tor di Nona, puis à l’auberge pour m’ordonner et souper dans les memes chambres sans oublier les huitres, malgrè que je fusse sûr de n’en avoir plus