Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/107

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ma péliſſe, car le froid me tuoit. Le miniſtre du tribunal doit avoir employé toute ſa force pour s’empêcher de rire en me voyant, car ma perſonne habillée très-galamment, échevelée, et avec une barbe noire de huit mois avoit de quoi faire rire le plus ſérieux de tous les hommes. Le juif s’étonna de ce que je ne lui avois pas parlé, et ne fut pas perſuadé que je lui euſſe beaucoup plus dit moi par mon ſilence, que lui avec ſes lâches cris. Un priſonnier de mon eſpèce en préſence de ſon juge ne devoit ouvrir la bouche que pour répondre aux interrogations.

Le jour ſuivant un jéſuite vint me confeſſer, et le ſamedi ſaint un prêtre de S. Marc vint m’adminiſtrer la ſainte Eucariſtie. Ma confeſſion parut trop laconique au père qui l’écouta, et il trouva bon de me faire pluſieurs remontrances avant que de me donner l’abſolution. Il me demanda ſi je priois Dieu, et je lui ai répondu que je le priois depuis le matin jusqu’au ſoir, et depuis le ſoir jusqu’au matin, même en mangeant, même en dormant, puisque tout ce qui ſe paſſoit dans mon ame, dans mon cœur, et dans mes agitations ne pouvoit être dans la