Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/108

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ſituation où j’étois qu’une prière continuelle devant la divine ſageſſe : je lui ai dit que mes impatiences mêmes, et les égaremens de mon imagination devenoient prières. Ce jéſuite qui étoit un miſſionnaire directeur de la conſcience d’un vieux célébre ſénateur homme de lettres, dévot, politique, et auteur d’ouvrages tous pieux, et tous extraordinaires, et inquiſiteur d’état, fit un petit ſourire, et paya mon doctrinal ſpécieux ſur la prière avec un discours méthaphyſique d’un acabit qui ne quadroit aucunement avec celui du mien. J’aurois réfuté tout, ſi habile dans ſon métier il n’eût pas eu le talent de m’étonner, et de me rendre plus petit qu’une puce par une eſpèce de prophétie qui m’en impoſa : puisque, dit-il, c’eſt de nous que vous avez appris la religion que vous profeſſez, exercez-la comme nous, et priez Dieu comme nous vous l’avons appris, et ſachez que vous ne ſortirez jamais d’ici que le jour dédié au ſaint votre protecteur. Après ces paroles il me donna l’abſolution, et il partit. L’impreſſion qu’elles me firent eſt incroyable : j’ai eu beau faire, mais elles ne voulurent jamais ſortir de ma tête. J’ai paſſé en revue tous les ſaints que j’ai trouvés ſur l’almanac.