Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/129

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moment : je me ſuis jetté éperdu ſur mon fauteuil. Laurent en entrant me dit mettant ſa tête à la grille, et avec un ton de jouiſſance : je viens, monſieur, vous porter une bonne nouvelle, dont je vous félicite. J’ai d’abord cru que c’étoit celle de ma liberté, car je n’en connoiſſois pas d’autre, qui pût être bonne ; et je me voyois perdu : la découverte du trou auroit fait révoquer ma grace. Laurent entre, et me dit d’aller avec lui ; je lui réponds d’attendre que je m’habille : n’importe, me dit-il, puisque vous ne faites que paſſer de ce villain cachot à un autre clair, et tout neuf où par deux fenêtres vous verrez la moitié de Veniſe, où vous pourrez vous tenir de bout, où… mais je n’en pouvois plus, je mourrois : je le lui ai dit : j’ai demandé du vinaigre en le priant d’aller dire à monſieur le ſecrétaire que je remerciois le tribunal de cette grace, en le ſuppliant au nom de Dieu de me laiſſer là. Laurent me dit avec un grand éclat de rire que j’étois fou : que le cachot où j’étois s’appelloit l’enfer, et que celui où il avoit ordre de me mettre étoit délicieux. Allons, allons, ajouta-t-il, il faut obéir, levez-vous. Je vous donnerai le bras, et je vous ferai d’abord porter toutes vos hardes, et tous vos livres. Étonné,