Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/174

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Après cette narration effrontée qui me fit connoître de quelle eſpèce étoit ce monstre, j’ai fait ſemblant de le plaindre, et faiſant l’éloge de ſon patriotisme, je lui ai prédit ſa liberté dans peu de jours. Une demi heure après il ſ’eſt endormi, et j’ai tout écrit au Père Balbi, et la néceſſité où nous étions de ſuſpendre tout travail pour attendre la favorable opportunité.

Le lendemain j’ai ordonné à Laurent de m’acheter un crucifix de bois, une image de la ſainte vierge, et un flacon d’eau bénite, Soradaci lui demanda hardiment ſes dix ſous, et Laurent faiſant le généreux ſe mit à rire, et en l’appellant gueux lui en donna vingt. Je lui ai ordonné de me porter quatre fois plus de vin, et de l’ail, car mon camarade m’avoit dit que l’ail faiſoit ſes délices. Après le départ de Laurent, j’ai partagé ma ſoupe avec ce traître, et j’ai conçu le projet de faire une expérience : mais auparavant j’ai tiré adroitement du livre la lettre du père Balbi, et je l’ai lue ſans qu’il y prenne garde. Il me peignoit dans ſa lettre ſa ſurpriſe, ſa frayeur : il ſ’étoit ſauvé dans un inſtant : il étoit rentré dans ſon cachot plus mort que vivant, et il avoit vite remis l’estampe ſous