Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/201

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venir que j’avois beſoin qu’il me prêtât trente cequins qui pourroient me devenir néceſſaires autant que mon eſponton me l’avoit été pour faire tout ce que j’avois fait : il fit ma commiſſion, et quatre minutes après il vint me dire d’y aller tout ſeul, car il me vouloit parler ſans témoins. Ce bon vieillard commença par me dire avec douceur que pour m’enfuir je n’avois pas beſoin d’argent, qu’il n’en avoit pas, qu’il n’étoit pas riche, qu’il avoit une nombreuſe famille, que ſi je périſſois l’argent qu’il me donneroit ſeroit perdu, et beaucoup d’autres raiſons toutes faites pour masquer l’avarice. Ma réponſe dura une demi heure, et le lecteur peut ſe la figurer : raiſons excellentes ; mais que depuis que le monde exiſte n’eurent jamais la force ni de perſuader ni de convaincre, parceque l’orateur ne peut pas déraciner la paſſion qui fait le plus puiſſant obſtacle à ſon éloquence : c’eſt le cas de nolenti baculus ; mais je n’étois pas aſſez cruel pour employer ce moyen vis à vis du comte. J’ai fini par lui dire que, s’il vouloit s’enfuir avec moi, je le porterois ſur mes épaules comme Énée Anchiſe ; mais que s’il vouloit reſter pour prier Dieu de nous conduire, je l’avertiſſois que ſa prière