Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/207

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que je ſerois bien plus ſatisfait de les lui vendre pour cinq ou ſix cequins. L’avare eſt toujours mépriſable, mais il y a des cas où l’humanité doit lui pardonner : une centaine de cequins, que peut-être ce vieillard poſſédoit, étoit la ſeule conſolation qu’il avoit dans ſa priſon : il eſt cependant vrai, que ſi j’euſſe prévu que ſans ſon argent ma fuite me ſeroit devenue impoſſible, ma raiſon m’auroit forcé à faire taire le ſentiment, qui dans ce cas là ſeroit devenu foibleſſe. J’ai demandé au moine du papier, une plume, et de l’ancre, qu’il poſſédoit malgré les lois prohibitives, et voici la lettre que j’ai laiſſée à Soradaci et que j’ai écrite à l’obſcur beaucoup plus intelligible ; que ſi je l’euſſe écrite à la grande lumière. Je l’ai écrite en prononçant à haute voix ce que j’écrivois, parcequ’il m’auroit été impoſſible de la relire. J’ai commencé par une déviſe de tête ſublimée ; ce qui me parut fort à propos dans la circonſtance.

Non moriar ſed vivam, et narrabo opera Domini. — David in pſalmis.

Nos ſeigneurs les inquiſiteurs d’état doivent tout faire pour tenir par force dans une priſon un coupable : le coupable, heureux de n’être pas priſonnier ſur ſa parole,