Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/211

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dit tranquillement qu’il falloit avoir patience, et aller notre chemin. Il ſoupira, et toujours accroché à mon derrière il me ſuivit.

Après avoir paſſé par deſſus quinze ou ſeize plaques, je me ſuis trouvé ſur la plus haute éminence du toit, où en élargiſſant mes jambes je me ſuis commodément aſſis à califourchon. Le moine en fit autant derrière moi. Nous avions nos dos tournés à la petite île de S. Georges majeur, et nous avions vis à vis de nous les nombreuſes coupoles de la grande égliſe de S. Marc qui fait partie du palais ducal : c’eſt la chapelle du Doge ; nul monarque ſur la terre ne peut ſe vanter d’en avoir une pareille. Je me ſuis d’abord déchargé de mes ſommes, et j’ai dit à mon aſſocié qu’il pouvoit en faire autant. Il plaça ſon tas de cordes entre ſes cuiſſes aſſez bien, mais ſon chapeau, qu’il voulut y placer auſſi, perdit l’équilibre, et après avoir fait toutes les culbutes néceſſaires pour parvenir à la goutière, tomba dans le canal. Voilà mon compagnon déseſpéré. Mauvais augure, dit-il, me voilà dans le beau commencement de l’entrepriſe ſans chemiſes, ſans chapeau, et ſans un manuſcrit qui contenoit l’hiſtoire précieuſe, et inconnue à tout le monde de toutes les fêtes du palais de la république. Moins