Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/39

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d’homme qui ne penſoit qu’à jouir de la vie je ne pouvois pas me trouver coupable ; mais en me voyant malgré cela traité comme tel j’épargne au lecteur tout le détail de ce que la rage, la fureur, le déseſpoir m’a fait dire, et penſer contre le deſpotisme qui m’opprimoit. La noire colère cependant, et le chagrin qui me dévoroit, et le dur plancher ſur lequel j’étois ne m’empêchèrent pas de m’endormir : ma nature avoit beſoin du ſomeil, et lorsque l’individu qu’elle anime eſt jeune, et ſain elle ſait ſe procurer ce qu’il lui faut ſans avoir beſoin de ſon conſentement.

La cloche de minuit m’a éveillé. Affreux réveil lorsqu’il fait regréter le rien, ou les illuſions du ſomeil. Je ne pouvois pas croire d’avoir paſſé trois heures ſans avoir ſenti aucun mal. Sans bouger, couché comme j’étois ſur mon côté gauche j’ai allongé le bras droit pour prendre mon mouchoir que la réminiſcence me rendoit ſûr d’avoir placé là. En allant à tâton avec ma main, Dieu ! quelle ſurpriſe, lorsque j’en trouve une autre froide comme glace. L’effroi m’a électriſé depuis la tête jusqu’aux pieds, et mes cheveux ſe hérissèrent : jamais