Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/40

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je n’ai eu dans toute ma vie l’ame ſaiſie d’une telle frayeur, et je ne m’en ſuis jamais cru ſuſceptible : j’ai paſſé certainement trois ou quatre minutes non ſeulement immobile, mais incapable de penſer : rendu à moi-même je me ſuis fait la grace de croire que la main que j’avois touchée n’étoit qu’un objet de l’imagination : dans cette ferme ſuppoſition j’allonge de nouveau le bras au même endroit, et je trouve la même main, que jettant un cri perçant, et tranſi d’horreur je ſerre, et je relâche en retirant mon bras. Je frémis ; mais devenu maître de mon raiſonnement je décide que pendant que je dormois on avoit mis près de moi un cadavre ; car j’étois ſûr que lorsque je me ſuis couché ſur le plancher il n’y avoit rien. J’imagine d’abord le corps de quelqu’innocent malheureux, et peut-être mon ami qu’on avoit étranglé, et qu’on avoit ainſi placé près de moi pour que je trouvaſſe à mon réveil devant mes yeux l’exemple du ſort qu’on m’avoit deſtiné. Cette penſée me rend féroce : je porte pour la troiſième fois mon bras à la main, je la ſaiſis, je la ſerre, et je veux dans le même inſtant me lever pour tirer à moi ce cadavre, et me rendre certain de toute l’atro-