Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/41

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cité de ce fait : mais voulant m’appuyer ſur mon coude gauche la même main froide que je tenois ſerrée devient vive, ſe retire, et je me ſens dans l’inſtant avec ma grande ſurpriſe convaincu que je ne tenois dans ma main droite autre main que ma même main gauche qui percluſe, et engourdie avoit perdu mouvement, ſentiment, et chaleur, effet du lit tendre, flexible, et douillet ſur lequel mon pauvre individu repoſoit.

Cette aventure quoique comique ne m’a pas égayé. Elle m’a donné matière aux réflexions les plus noires. Je me ſuis apperçu que j’étois dans un endroit où ſi le faux paroiſſoit vrai, les réalités devoient paroître des ſonges, où l’entendement devoit perdre la moitié de ſes priviléges, où la phantaiſie échauffée devoit rendre la raiſon victime ou de l’eſpérance chimérique, ou de l’affreux déseſpoir. Je me ſuis d’abord mis ſur mes gardes pour tout ce qui concernoit cet article, et j’ai pour la première fois de ma vie à l’âge de trente ans appellé à mon ſecours la philoſophie, dont j’avois tous les germes dans l’ame, et dont il ne m’étoit pas encore arrivé l’occaſion d’en faire cas, ni uſage. Je crois que la plus grande partie des hommes meurent