Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/42

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ſans avoir jamais penſé. Je me ſuis tenu ſur mon ſéant jusqu’au frapper de huit heures : les crépuscules du nouveau jour paroiſſoient ; le Soleil devoit ſe lever à neuf heures et un quart ; il me tardoit de voir ce jour : un preſſentiment intérieur que je tenois pour infaillible m’aſſuroit qu’on me renverroit chez moi d’abord, et je brûlois des déſirs de vengeance, que je ne me diſſimulois pas. Je me voyois à la tête du peuple pour pulvériſer le gouvernement, et je ne pouvois pas me contenter d’ordonner à des bourreaux le carnage de mes oppreſſeurs ; mais c’étoit moi-même qui devois en faire le maſſacre. Tel eſt l’homme ; et il ne ſe doute pas que ce qui tient ce langage dans lui n’eſt pas la raiſon, mais ſa plus grande ennemie, la colère.

J’ai attendu moins de ce que je me ſentois diſpoſé à attendre ; et voilà un premier motif de calme des fureurs. À huit heures et demi le profond ſilence de ces lieux, enfer de l’humanité vivante, fut rompu par le glapiſſement des verrous aux veſtibules des corridors qu’il falloit paſſer pour parvenir à mon cachot. J’ai vu le gardien devant ma grille qui me demanda ſi j’avois eu le