Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/61

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d’eux, très-honnête homme, dans le cas qu’il dut faire étrangler ſommairement un chef boute-feu qui mettoit en alarme toute la ville de Muran : ce ſénateur avec un cœur bon, et un eſprit juſte ne ſe croyoit maître de rien ; il n’oſoit pas croire d’être inquiſiteur d’état ; il diſait je ſers le tribunal : je crois qu’il devoit avoir une eſpèce de ſentiment de vénération pour la table, et pour les trois fauteuils qui le forment. Un fort déſagrément que j’ai eu dans l’année 1782 m’a excité à une vengeance : je me ſuis ſatisfait ſans bleſſer les lois ; mais je me ſuis rendu ennemie toute la nobleſſe, qui a fait cauſe commune : je lui ai donné volontairement un éternel adieu : ſans ce puiſſant motif je n’aurois jamais eu la force de m’éloigner de ma patrie ; car j’étois tant accoquiné, comme dit Montaigne, à tous les gros plaiſirs que l’homme peut s’y procurer que peu différent d’un cochon je croupiſſois délicieuſement : et voilà comment les hommes font ſouvent du bien à quelqu’un ſans l’intention de lui en faire.

Le dernier de Septembre j’ai paſſé la nuit ſans pouvoir fermer les yeux ; impatient de voir paroître le jour dans lequel je me