Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/78

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Le lendemain on m’amena le nouveau camarade qu’on traita le premier jour comme on avoit traité le jeune valet de chambre : j’ai appris qu’il s’agiſſoit de recevoir un convive inattendu, et qu’il falloit donc avoir toujours préparée une autre cuillère d’ivoire.

Cet homme, auquel je me ſuis d’abord montré, me fit une profonde révérence : ma barbe en impoſait encore plus que ma taille : elle avoit déjà quatre pouces de longueur, et je m’y étois accoutumé autant qu’un capucin. Laurent me prêtoit ſouvent des ciſeaux pour me faire les ongles des pieds, mais il m’étoit défendu de couper ma barbe ſous des grandes peines ; et je n’avois garde de déſobéir.

Mon nouveau venu étoit un homme de cinquante ans grand comme moi, un peu courbé, maigre, à grande bouche, et longues dents, avec des petits yeux chatains, des longs ſourcils rouges, une perruque ronde, et noire, et vêtu de gros drap gris. Malgré qu’il ait accepté mon dîner, il fit le réſervé : il ne me dit pas le mot de toute la journée ; et j’en ai agi de même ; mais il changea de ſyſtème le lendemain. On lui apporta de bonne heure un lit qui lui appartenoit, et