Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/79

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du linge dans un ſac. Mon pauvre premier camarade ſans moi n’auroit pas pu changer de chemiſe. Le gardien dit à cet homme qu’il avoit mal fait à ne pas mettre dans ſa poche de l’argent, puisque le ſecrétaire lui avoit ordonné de ne lui porter que de l’eau, et du pain de munition qu’on appelle biscotto : mon homme ſoupira, et ne répondit rien. Lorsque nous fûmes ſeuls, je lui ai dit qu’il mangeroit avec moi, et le vilain avare me baiſa la main, et me parla ainſi.

Je m’appelle Sgualdo Nobili. Je ſuis fils d’un payſan qui m’envoya à l’école, où j’ai appris à écrire, et qui me laiſſa à ſa mort ſa petite maiſon, et le peu de terrain qui en dépendoit. Ma patrie eſt le Frioul une journée au-delà d’Udine. Un torrent qu’on appelle Corno, et qui ſouvent endommageoit ma petite poſſeſſion me fit prendre le parti il y a dix ans de vendre mon bien, et de m’établir à Veniſe. On m’en compta huit mille livres venitiennes en beaux cequins. J’étois informé que dans la capitale de cette glorieuſe république tout le monde jouiſſoit d’une honnête liberté, et qu’un homme induſtrieux, et qui avoit un capital comme le mien, pouvoit y vivre fort à ſon aiſe ſans