Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/80

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fatiguer ſon corps en prêtant ſur gages. Sûr de mon économie, de mon jugement, et de mon ſavoir vivre, je me ſuis déterminé à faire ce même métier. J’ai loué une petite maiſon dans le canal regio ; je l’ai meublée, et en vivant tout ſeul, et ſans beſoin de domeſtique, en me faiſant moi-même mon manger, j’ai vécu deux ans avec toute ma tranquillité, devenu plus riche de deux mille livres, puisqu’en voulant bien vivre j’en avois dépenſé mille pour mon entretien. J’étois ſûr de devenir en peu de tems vingt fois plus riche. Dans ce tems là un juif me pria de lui prêter deux cequins ſur pluſieurs livres latins bien reliés, entre lesquels j’en ai trouvé un italien dont le titre étoit la ſaggezza di Charron. Je n’ai jamais aimé la lecture ; je n’ai jamais lu que la doctrine chrétienne ; mais je vous avoue que cette Saggezza que j’ai voulu lire, m’a démontré combien l’homme a tort de ne pas ſe procurer des lumières en liſant. Ce livre, monſieur, que peut-être vous ne connoiſſez pas, eſt l’excellent entre tous les livres ; et quand on l’a lu, on connaît qu’on n’a pas beſoin d’en lire d’autres ; car il contient tout ce qu’il peut importer à l’homme de ſavoir ; il le purge des préjugés contractés