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le réseau d’une immense organisation que nous dirigerions d’ici, nous exercerions une influence prépondérante sur la politique de notre pays. J’ai déjà, moi-même, enrégimenté une partie de la jeunesse de Montréal-Est. ; j’ai à ma disposition des organisations de forts-à-bras qui, au besoin, peuvent frapper un grand coup. Que nous nous organisions de la même manière sur tous les points du pays, et nous sommes tout-puissants. »

Ce projet, soumis à une jeunesse ardente et sans expérience, parut sourire à la presque totalité des assistants. Se voir à la tête d’une organisation toute-puissante pour faire triompher ce qu’ils croyaient être la bonne cause ; avoir en mains une force suffisante pour enchaîner la victoire sous leurs drapeau, leur paraissait être une admirable affaire. Mais l’orateur vint bientôt jeter du froid sur l’enthousiasme de plusieurs.

« Maintenant, » continua-t-il, « une telle organisation n’est, possible et désirable qu’à une condition : C’est de former, au préalable, entre nous une association mutuelle destinée à travailler au bénéfice individuel et collectif de chacun de nous. Il faut former une espèce de société secrète où, sans toutefois être liés par le serment, nous serons tous engagés sur l’honneur à nous entr’aider, nous soutenir, travailler avant tout à l’avancement personnel de chacun de nous, cela sans égard à personne, pas méme à nos chefs politiques, que nous ne suivrons que lorsque cela fera notre affaire. »

Et comme quelques-uns se récriaient, parlaient de patriotisme, protestaient de leur dévouement à leur parti et à leurs chefs, disaient qu’avant de s’engager à travailler dans l’intérêt personnel des co-associés, il fallait travailler au triomphe des principes conservateurs et au bonheur du pays :

« Vous êtes bien naïfs, vous autres ! » s’écria-t-il. « Le patriotisme ! les principes conservateurs ! en voilà de belles ! Je voudrais bien savoir qui, aujourd’hui, se soucie des principes ! Le patriotisme, c’est un appât avec lequel on prend les imbéciles. Et nos chefs, croyez-vous, en bonne vérité, qu’ils s’occupent des intérêts du pays ? Cartier, MacDonald, Taché, Cauchon, Langevin ! croyez-vous que ces gens-là songent à autre chose qu’à faire leurs propres affaires ? L’intérêt public ; c’est là le prétexte, un excellent prétexte, qu’il est bon de faire sonner bien haut, mais le mobile véritable qui inspire et doit inspirer les hommes politiques, c’est leur intérêt personnel. Travailler à faire fortune, travailler à se faire une position politique : voilà le but que nous devons nous proposer. Cartier ! oui Cartier lui-même, avec toutes ses grandes protestations de désintéressement, ne poursuit pas d’autre but. Eh bien ! le temps est venu où nous devons marcher sur leurs traces, travailler pour nous-mêmes. »

« Nos chefs, nous les avons servis assez longtemps ! Assez long-