Page:Castor - Le pays, le parti et le grand homme, 1882.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 21 —

times du chef de l’opposition avec Dansereau, et l’opinion, prévalant partout, qu’il avait la main dans toutes les spéculations véreuses de ce dernier, faisaient redouter son arrivée au pouvoir, investi de la redoutable autorité de chef du Cabinet. On sentait qu’il finirait par compromettre irrémédiablement le parti à Québec. Quelques amis conseillèrent donc son exode immédiat du côté d’Ottawa. Ils désiraient l’arracher à l’influence désastreuse de ses compères et sauver sa carrière déjà compromise.

« Il se destine à un grand role, » se disaient-ils. « Déjà il se sent à la gêne sur l’étroit théâtre de notre politique provinciale. Il ne le cache à personne : le champ de bataille d’Ottawa est seul digne de lui : pourquoi n’y va-t-il pas de suite ? Qu’il laisse le parti sous le commandement des chefs actuels de Québec. Ils n’ont nullement perdu la confiance du parti ni démérité de leur pays. Lui qui tient tant à faire grande figure, qu’il aille figurer sur la scène fédérale. »

Ainsi parlait-on. Ainsi le voulait l’intérêt du parti, et le pays y trouvait son compte. Mais nous l’avons déjà dit· : M. Chapleau n’a presque jamais vécu que de la politique, et il entend vivre grassement. Il lui fallait donc le pouvoir et le pouvoir de suite ! Or, suivant les probabilités les plus raisonnables, remonter au pouvoir à Québec, c’était l’affaire de quelques quinzaines tout au plus ; tandis que les plus optimistes n’eussent pas osé prédire un retour des conservateurs au pouvoir fédéral avant de nombreuses années.

Et M. Chapleau, qui ne voulait pas jeûner un semestre, ne se souciait guère, à plus forte raison, de se condamner à la diète pour des années, même à la condition de pérorer, tout ce carême durant, sur les hauteurs du capitole et d’avoir pour auditoire les peuples de la confédération tout entière.

On allait arriver au pouvoir à Québec : donc il fallait rester à Québec ! on saurait bien jouer assez des coudes pour écarter ces malencontreux amis de Boucherville et Angers. Et si le parti, même le pays en souffrent, tant pis pour le pays et le parti ! ne faut-il pas, avant tout, que M. Chapleau et ses fidèles fassent bombance ?

Hélas ! toujours le grand homme d’abord ! le pays et le parti à l’arrière-plan !

Les huileux ne se firent donc aucun scrupule d’oublier un moment la discipline pour faire sauter M. de Boucherville et faire asseoir M. Chapleau à sa place…


XVIII


Mais à peine le tour était-il joué, que la perspective changea tout à coup. Contre l’attente générale, on n’arriva pas au pouvoir à Québec. Grâce à l’élasticité des principes de Turcotte, un intime de M. Chapleau, l’un des plus fervents adeptes de son école, Joly garda le sceptre.