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Page:Castor - Le pays, le parti et le grand homme, 1882.djvu/20

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XX


Il y avait cependant une bagatelle de difficulté : Les naïfs crurent d’abord que cette difficulté en était une surgissant de l’intérêt public ; ils se dirent :

« Nous ne pouvons guère prétendre à plus de trois ministres canadiens-français. Or, de ces trois ministres, il en faut un au Sénat.

« Impossible pour la Province de Québec et pour les Canadiens-Français d’abandonner leur droit d’être représentés, sur les banquettes ministérielles, dans la première chambre du pays. Ce serait pratiquement décréter la déchéance de la nationalité canadienne-française dans cette chambre.

« Il y a plus, lorsque Sir G. E. Cartier induisit la Province de Québec à accepter la confédération, malgré le cri que nous nous trouvions par là concéder à Ontario la représentation basée sur la population, il ne réussit à nous persuader qu’en faisant valoir le contre-poids puissant que le sénat nous offrirait contre la prépondérance excessive d’Ontario dans les Communes.

« il faut, disait-il, que toutes mesures reçoivent successivement l’assentiment des Communes et du Sénat, Or, si nos 65 députés sont débordés par les 88 d’Ontario, nous serons sur un pied d’égalité, lorsque la mesure arrivera au Sénat : 24 contre 24, là ! Égalité parfaite !

« Et Ontario ne pourra pas regimber ! » Ainsi parlait Cartier.

Or, disaient les naïfs :

« Que nous n’ayons pas de ministres français au Sénat, Ontario en aura. Elle en aura un ! deux ! peut-être trois ! Alors que feraient nos 24 sénateurs privés de toute influence ministérielle ou administrative, contre les 24 d’Ontario, avec trois ministres distribuant à grandes mesures à leurs collègues des places pour leurs fils, des faveurs ministérielles pour leurs petits-fils, des jobs pour leurs neveux, leurs collatéraux, leurs amis et leurs alliés ?

“ Alors, les 24 d’Ontario seront doublement plus forts. Donc, plus de contre-poids ! donc Ontario aura la representation by population : sans restriction ! Donc l’influence de notre Province deviendra nulle ! donc nous serons abîmés, submergés, noyés, les Canadiens ! Donc nous irons aux chiens, les Canadiens ! »

Ainsi parlaient les naïfs.

C’était bien là surtout le langage que tenaient, à tout propos, et Trudel (le grand vicaire !), et Bellerose, et le petit Bâtis Guevremont, et Armand, et Chapais : des naïfs s’il en fut jamais.

Et il paraît que cette nécessité d’un ministre français au Sénat frappait si bien, au premier abord, que Sir John lui-même disait tout bonnement : « D’abord, il faut un ministre français au Sénat… » Sir John parmi les naïfs ! Un comble à quatre étages !