Page:Castor - Le pays, le parti et le grand homme, 1882.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 62 —

On sait même quelle division existait dans le Cabinet à ce sujet. MM. Ross et Robertson préférèrent abandonner leurs portefeuilles plutôt que de tremper dans cette affaire. M. Loranger, pris d’une vertueuse indignation, allait les suivre, lorsque M. Chapleau lui dit amicalement, mais sur un ton qui n’impliquait pas badinage : « Tu sais, le fauteuil de septième Juge : eh bien ! il est facile que ce soit à toi. Mais… il nous faut le chemin de fer à nous ! »

Loranger se calma, reprit sa place dans les rangs et emboîta le pas derrière son chef. Messieurs Flynn et Paquet, eux, n’eurent pas de scrupules… tant la transaction leur parut honnête ! tant ils étaient convaincus que c’était même un grand acte de patriotisme que Senécal, Dansereau & Cie allaient, accomplir, en nous débarrassant de cet éléphant de chemin de fer et en assumant, avec un désintéressement admirable, une partie de la dette provinciale…


III


Voilà qui est très bien ; mais cela ne décide pas la question de savoir qui avait raison, de la clique ou de tous les conservateurs qui s’opposèrent à la vente avec une incroyable énergie.

Dansereau, lui, crut trouver une solution à la question, en disant que tous ces gens-là n’agissaient que par un sordide motif d’intérêt personnel !

Voyez, plutôt :

1° Ross voulait être premier ministre.

2° De Boucherville, jalousant M. Chapleau, voulait être, lui aussi, premier ministre.

Forte accusation ! mais était-elle bien fondée ? D’abord, M. de Boucherville, alors qu’il n’était pas au Sénat, alors qu’il était encore chef conservateur de la Province, s’effaça sans bruit, dès que l’intrigue du Windsor fut consommée. Dans un temps où il avait tous les droits et où des milliers de conservateurs le reconnaissaient pour chef, il resta paisiblement dans sa retraite. Il y a plus : de Boucherville est l’ami de cœur de Ross. Il ne fit que seconder ce dernier qui, toujours suivant Dansereau, ne travaillait lui aussi contre la vente que pour être premier ministre.

Enfin, de Boucherville ne fit guère de cabale. Il ne s’assura pas même, ainsi qu’il lui fut reproché ensuite, le concours des nombreuses et puissantes influences existant dans la capitale fédérale et qui l’eussent secondé dans sa résistance.

Tout cela, il faut bien le reconnaître, est une forte présomption que M. de Boucherville n’a pas suivi une arrière-pensée d’hostilité à M. Chapleau, mais n’a été mu que par son désir de servir l’intérêt public. De plus, le passé de M. de Boucherville est là, passé sans tache, étranger à toutes ces intrigues, toutes ces menées plus ou