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AVANT-PROPOS.

un certain inſtinct, que perſonne n’entend (tant ils ont peur de leur monarchie rationale.) Si on gardoit un homme, dès ſa naiſſance, dans un cachot juſques à l’âge de vint-ans, & qu’après on le mît dehors, on verroit qu’il aurait moins de raiſon que pluſieurs beſtes qu’on a dreſſées & élevées. Je crois, que ce qui fait que ceux qui ſont profeſſion des lettres ſont ſi peu d’eſtime des beſtes, ne provient d’autre choſe, que de la petite connoiſſance qu’ils en ont, & penſans ſçavoir toutes choſes, ils croient en parler pertinemment, au lieu qu’ils n’en connoiſſent pas plus qu’ils en apprennent à monter une haquenée de l’Univerſité à Londres, & de Londres à l’Univerſité : s’ils les étudioient, comme ſont les Cavaliers, ils en parleroient autrement. Car, par exemple, ſi un homme eſt égaré dans l’obſcurité d’une nuit d’hyver, qu’il laſſe ſaire ſon cheval, & il trouvera ſon chemin pour aller où il aura affaire, au lieu qu’un homme ſobre gaſteroit ſon cheval, & ne ſauroit en venir à bout. Cela eſt très-véritable ; car je me ſuis trouvé moy-meſme en cet état-là, & je crois que je me ſerais perdu ſans mon cheval. Quant aux hommes de lettres, quoy qu’ils étudient, ils n’étudient pas la Cavalerie, mais ils font une étude plus proſitable, qui eſt, d’avoir puiſſance ſur les hommes, juſques à ce qu’ils ſoient ſurmontés par l’épée. C’eſt pourquoy on ne doit pas s’étonner, s’ils ſe trompent un peu en ce dont ils ne font proſeſſion, ni n’étudient, & qui plus eſt, n’ont aucune connoiſſance. C’eſt pourquoy il faut auſſy me ſouvenir de ce que dit le très-excellent & très-grand Docteur Monſieur Earles en ſes Caracteres, qu’un écolier & qu’un cheval ſe troublent beaucoup l’un l’autre. Et ainſy je les laiſſeray-là pour leur aiſe & pour la mienne.

Tout ce que j’ay dit ci deſſus, n’eſt que pour vous monſtrer qu’il faut travailler ſur la raiſon d’un cheval. C’étoit un titre fort à propos d’un livre François, traitant de la Cavalerie : Pour mettre un cheval à la raiſon. Or c’eſt aſſés de cette matiere pour le preſent. Quant aux paſſions, un cheval connoit autant des nôtres comme nous faiſons des ſiennes ; parce que nous connoiſſons parfaitement les paſſions les uns des autres, comme l’amour, la haine, l’appetit de vengeance, l’envie, &c. J’ay veu fort peu de Cavaliers coleres l’emporter par leur paſſion au