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Page:Cavendish - L’Art de dresser les chevaux, 1737.djvu/24

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AVANT-PROPOS

de mille autres choſes. Il eſt vray qu’un cheval ne ſauroit faire une propoſition, n’ayant pas les marques de l’A, B, C, de ſorte qu’il a de l’avantage en ce qu’il ne ſait jamais de fauſſss propoſitions, comme font les hommes. Pluſieurs croient, que ce qui eſt cauſe que les hommes parlent, & non les beſtes, ne provient d’autre choſe que de ce que les beſtes n’ont pas cette gloire & cette vanité qu’ont les hommes, leſquelles produiſent le langage en eux. Et nous voions, que la rareté des choſes produit fort peu de langage en pluſieurs Indiens. D’abondant, les beſtes ne ſe divertiſſent point en bracelets, en bâgues émaillées, ni en infinies bagatelles de cette eſpece, mais elles ſuivent ſimplement la nature, ſans avoir ſi grand nombre de phantômes & de poupées en l’eſprit que les hommes, de quoy elles ne ſe ſoucient pas. Quelques-uns auſſy veulent dire, qu’elles n’ont point d’entendement, à cauſe que les hommes les maîtriſent ; mais lors qu’un cheval maîtriſe un homme, ce qui arrive aſſés ſouvent, l’homme n’a-t-il point d’entendement ? La force maîtriſe les hommes auſſy bien que les beſtes. Si le plus ſage homme du monde étoit pris par quelque Prince barbare, & mis à trainer une charrette proportionnée à ſes ſorces, & qu’il fuſt battu, lors qu’il ne feroit pas ſon devoir, il tireroit comme fait un cheval lors qu’il eſt gourmandé ; & quand il auroit faim, il crieroit en la meſme ſorte après le manger. Quelqu’un peut-étre dira, qu’il a l’entendement ſi relevé, qu’il aimeroir mieux mourir que de trainer une charrette, &c, tant eſt plein de courage, qu’il aimeroit mieux ſe jetter par terre ſans ſe remuër. Un cheval en fera tout autant, & je crois, qu’il endurera plus long-temps à étre battu, que ce généreux qui parle de la ſorte : nous appelions les chevaux, qui ſont comme cela, rétifs, & les hommes obſtinés, qui ſont tout-un. Pluſieurs hommes ſont trop ſorts pour un cheval, & pluſieurs chevaux ſauvages un peu trop diſſiciles pour un homme : un homme pourra mener pluſieurs chevaux devant luy, mais ce ſera par education, & ce ne ſeront pas pluſieurs chevaux ſauvages dans une ſoreſt. J’ay ſemblablement veu un petit nombre d’hommes mener deux milles priſonniers devant eux. Les gens de lettres auront beaucoup de peine à donner aucun entendement aux chevaux ; ils leur donnent ſeulement