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Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/110

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J’ai ouï dire au feu Roi que madame de Thianges s’échappoit souvent de chez elle pour le venir trouver, lorsqu’il déjeunoit avec des gens de son âge. Elle se mettoit avec eux à table, en personne persuadée qu’on n’y vieillit point[1]. Cette éducation ne devoit point contribuer à la faire bien marier ; cependant elle épousa M. le marquis de Thianges, de la maison de Damas, et elle lui apporta en dot le dénigrement qu’elle avoit pour tout ce qui n’étoit pas de son sang, ni dans son alliance ; et comme les terres de la maison de Thianges sont en Bourgogne, où elle fit quelque séjour, l’ennui qu’elle y eut lui inspira une aversion pour tous les Bourguignons qu’elle conserva jusqu’à la fin de ses jours ; en sorte que la plus grande injure qu’elle pouvoit dire à quelqu’un étoit de l’appeler Bourguignon. Elle eut de ce mariage un fils et deux filles ; mais elle ne vit dans ce fils[2] que cette province qu’elle détestoit, et dans sa fille aînée que sa propre personne qu’elle adoroit. Elle la maria au duc de Nevers[3] ; la cadette épousa le duc de Sforce, et partit

  1. * C’étoit une maxime devenue proverbe, du célèbre gourmand Broussin, de la famille des Brûlart, l’un des trois frères auxquels Chapelle et Bachaumont ont adressé leur Voyage.
  2. La princesse Palatine explique son aversion par des motifs encore moins honorables : « Elle ne pouvait souffrir son fils, dit-elle, pour deux raisons : La première, c’est qu’il n’était pas débauché et qu’il aimait sincèrement sa femme ; la seconde, c’est qu’il craignait Dieu et se livrait à la prière ; aussi disait-elle souvent : mon fils n’est qu’un sot ! »
  3. Philippe-Julien Mancini Mazarin, duc de Nevers (1639-1707), neveu du cardinal, célèbre par ses démêlés avec Racine et Boileau. « C’était, dit Voltaire, un auteur de vers singuliers qu’on entendait très aisément et avec un grand plaisir. »