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Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/111

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aussitôt après son mariage pour l’Italie, dont elle ne revint qu’après la décadence de la faveur de madame de Montespan. Je l’ai vue à son retour encore assez jeune pour juger de sa beauté ; mais elle n’avoit que de la blancheur, d’assez beaux yeux, et un nez tombant dans une bouche fort vermeille, qui fit dire à M. de Vendôme qu’elle ressembloit à un perroquet qui mange une cerise.

Madame de Thianges n’avoit pas tort d’admirer madame de Nevers ; tout le monde l’admiroit avec elle ; mais personne ne trouvoit qu’elle lui ressemblât, comme elle se l’imaginoit. Madame de Montespan fit ce qu’elle put pour inspirer au Roi du goût pour sa nièce ; mais il ne donna pas dans le piège, soit qu’on s’y prît d’une manière trop grossière, capable de le révolter, ou que sa beauté n’eût pas fait sur lui l’effet qu’elle produisoit sur tous ceux qui la regardoient.

Au défaut du Roi, madame de Nevers se contenta de M. le Prince[1], qu’on appeloit en ce temps-là M. le Duc. L’esprit, la galanterie et la magnificence quand il étoit amoureux, réparoient en lui une figure qui tenoit plus du gnome que de l’homme. Il a marqué sa galanterie pour madame de Nevers par une infinité de traits, mais je ne parlerai que de celui-ci : M. de Nevers avoit accoutumé de partir pour Rome de la même manière dont on va souper à ce qu’on appelle aujourd’hui une guinguette ; et on avoit vu madame

  1. Henri-Jules de Bourbon, fils du grand Condé, nommé d’abord le duc d’Eghien, puis M. la Prince à la mort de son père (1686).