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Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/54

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Voilà donc Françoise d’Aubigné, à quatorze ans, dans la maison d’un homme de la figure et du caractère de M. Scarron[1], remplie de jeunes gens attirés par la liberté qui régnoit chez lui. C’est là cependant que cette jeune personne imprima, par ses manières honnêtes et modestes, tant de respect, qu’aucun n’osa jamais prononcer devant elle une parole à double entente, et qu’un de ces jeunes gens dit : S’il falloit prendre des libertés avec la reine ou avec madame Scaron, je ne balancerois pas, j’en prendrois plutôt avec la reine. Elle passoit ses carêmes à manger un hareng au bout de la table, et se retiroit aus-

  1. Scarron riait de tout, même de ses maux. Dans son Épître à Sarrazin il se peint comme

    Un pauvret
    Très maigret,
    Au col tors
    Dont le corps
    Tout tortu
    Tout bossu,
    Suranné,
    Décharné,
    Fut réduit,
    Jour et nuit,
    À souffrir,
    Sans guérir,
    Des tourmens
    Véhémens.


    Il avait composé lui-même son épitaphe, qui est fort belle :


    Celui qui cy maintenant dort,
    Fit plus de pitié que d’envie,
    Et souffrit mille fois la mort,
    Avant que de perdre la vie.
    Passant, ne fais icy de bruit,
    Et garde bien qu’il ne s’éveille,
    Car voicy la première nuit
    Que le pauvre Scarron sommeille.