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Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/64

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Mais il est bon de dire, pour rendre ma pensée plus claire, que M. de Louvois eut peur, voyant la paix faite, de laisser trop d’avantage sur lui aux autres ministres, et surtout à M. Colbert et à M. de Seignelay son fils, et qu’il voulut, à quelque prix que ce fût, mêler du militaire dans un projet qui ne devoit être fondé que sur la charité et la douceur. Des évêques, gagnés par lui, abusèrent de ces paroles de l’Évangile : Contraignez-les d’entrer, et soutinrent qu’il falloit user de violence quand la douceur ne suffisoit pas ; puisque, après tout, si cette violence ne faisoit pas de bons catholiques dans le temps présent, elle feroit au moins que les enfans des pères que l’on auroit ainsi forcés le deviendroient de bonne foi. D’un autre côté, M. de Louvois demanda au Roi la permission de faire passer dans les villes les plus huguenotes, un régiment de dragons, l’assurant que la seule vue de ses troupes, sans qu’elles fissent rien de plus que de se montrer, détermineroit les esprits à écouter plus volontiers la voix des pasteurs qu’on leur enverroit. Le Roi se rendit, contre ses propres lumières et contre son inclination naturelle, qui le portoit toujours à la douceur. On passa ses ordres, et on fit, à son insu, des cruautés qu’il auroit punies si elles étoient venues à sa connoissance car M. de Louvois se contentoit de lui dire chaque jour : Tant de gens se sont convertis, comme je l’avois dit à Votre Majesté, à la seule vue de ses troupes.

Le roi étoit naturellement si vrai qu’il n’imaginoit