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MÉMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

cendrier en forme de plat, où tombait peu à peu l’or que je jetais sur les charbons. Pendant que ce fourneau fonctionnait, je n’étais pas une minute sans chercher les moyens de nuire à nos ennemis. Comme leurs tranchées étaient à une petite portée de trait, je leur faisais beaucoup de dommages avec de la mitraille, que j’avais trouvée parmi les anciennes munitions du château. J’avais un sacre et un fauconneau dont l’embouchure était un peu gâtée : je les bourrais jusqu’à la gueule avec cette mitraille, qui ravageait les tranchées d’une manière incroyable. Tout en fondant mon or, je tenais constamment ces deux pièces prêtes à tirer.

Un jour, un peu avant l’heure des vêpres, je vis passer sur le bord de la tranchée un mulet monté par un personnage qui parlait aux pionniers. J’eus soin de tirer avant qu’il fût arrivé en face de moi. J’avais si bien visé qu’un morceau de mitraille le frappa précisément au visage. Le mulet reçut le reste de la décharge, et tomba mort. J’entendis partir de la tranchée un bruit extraordinaire ; alors je mis le feu à mon autre pièce, qui ne laissa pas aussi de causer de grands dégâts. Le personnage que j’avais blessé était le prince d’Orange. On le transporta à l’abri de la tranchée, dans une hôtellerie voisine, où bientôt accourut toute la noblesse de l’armée. Le pape Clément, ayant appris ce que j’avais fait, me manda à l’instant. Je lui donnai tous les détails qu’il réclamait, et je lui dis que le blessé devait être un officier de très-haute importance, attendu que, autant que l’on pouvait en juger, tous les chefs de l’armée s’étaient rassemblés dans l’hôtellerie où on l’avait déposé. Le pape, en homme sagace, appela le commandant de l’artillerie, messer Antonio Santa-Croce, et lui dit d’enjoindre à tous les canonniers de braquer contre l’hôtellerie leurs pièces, qui étaient très-nombreuses, et de faire feu dès qu’ils entendraient un coup d’arquebuse. Sa