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LIVRE PREMIER

progrès dans ce maudit flûter, mais de bien plus grands encore dans mon état d’orfèvre, parce que, ne recevant aucun secours du cardinal de Médicis, j’entrai chez Scipione Cavaletti, miniaturiste bolonais, qui demeurait dans la rue Nostra-Donna del Baraccan. Là, je dessinai et je travaillai pour un juif nommé Grazia-Dio, avec lequel je gagnai beaucoup d’argent.

Au bout de six mois je revins à Florence. Mon retour contraria vivement le fifre Pierino qui avait été élève de mon père ; néanmoins, pour plaire à celui-ci, j’allai souvent chez Pierino donner du cor et jouer de la flûte avec son frère Girolamo, bon et digne garçon qui était de quelques années plus jeune que lui et d’un caractère tout opposé au sien. Un jour, mon père se rendit chez Pierino pour nous entendre ; mon jeu lui ayant plu infiniment, il dit : — « Je ferai pourtant de toi un merveilleux musicien en dépit de ceux qui ont voulu m’en empêcher. » — À cela Pierino répondit et avec raison : — « Votre Benvenuto tirera plus d’honneur et de profit de l’orfèvrerie, s’il s’y applique, que de cette fifrade. » — À ces paroles, mon père, voyant que je partageais cet avis, entra dans une telle colère, qu’il s’écria : — « Je savais bien que c’était toi qui t’opposais à mes plus chers désirs, toi qui m’as fait priver de ma place au palais, en me payant de cette basse ingratitude qui est la récompense ordinaire des grands bienfaits. C’est moi qui t’ai procuré un emploi, et c’est toi qui m’as fait perdre le mien ; je t’ai enseigné la musique et tout ce que tu sais, et tu empêches mon fils d’obéir à mes volontés ; mais garde bonne mémoire de ces paroles prophétiques : avant non quelques années, non quelques mois, mais seulement quelques semaines, tu seras englouti en punition de ta honteuse ingratitude. » — « Maestro Giovanni, répliqua Pierino, la plupart des hommes en vieillissant courent à la folie comme vous avez fait, je ne m’étonne plus à cette heure