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contes japonais.

Tout attristé du mauvais résultat de cette entrevue, Yasumasu mit sa flûte sous son bras et reprit le chemin du port, accompagné par un garde rébarbatif.

Au moment où celui-ci le quittait, aux portes de la fabrique de faïence, un groupe d’hommes qui guettait son départ se précipita vers le joueur de flûte et le retint, le suppliant de leur faire entendre encore quelques-uns de ces airs qui les avaient tant charmés.

Yasumasu ne se fit pas prier davantage et, devant ces êtres simples paraissant si bien le comprendre, il donna son âme tout entière, passant avec une souplesse admirable des gémissements du désespoir aux cris de la foule, du spectacle paisible des champs et du travail de la récolte à l’ouragan qui dévaste tout, au vent qui siffle dans les arbres, à la crainte du voyageur surpris par la tempête, aux clameurs des bateliers qui viennent de perdre leur voile et qui redoutent le naufrage. Oui, tout cela se sentait, se devinait, se faisait entendre dans les modulations variées de la flûte de Yasumasu, et ses auditeurs, transportés d’admiration, haletants, étaient véritablement, non plus des hommes gardant conscience de leurs actes, mais des choses dont il était maître.

Cette pensée traversa comme l’éclair l’esprit du prince, et aussitôt lui inspira le projet fou de profiter de circonstances aussi favorables. En quelques mots, il dit à ces gens le but de son voyage, il leur dévoile son rang, le désastre de son pays, l’espoir de tout un peuple ; en regard de leur vie misérable et de l’odieuse tyrannie d’un maître difforme et repoussant, il ajoute la promesse de récompenses, la perspective d’entendre encore le joueur de flûte qui venait de leur causer des émotions si vives. Enfin il les entraîne, leur fait traverser vivement le port et les embarque pour porter au peuple de Satsuma les secrets précieux d’où sa prospérité et son existence même dépendaient.