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Page:Cerfberr - Contes japonais, 1893.pdf/68

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contes japonais.

s’attarder à l’hypothèse que le maître de Nézumi refuserait de la laisser partir. Or, cet obstacle était, au contraire, très à craindre, et la loi formelle à cet égard : la servante devait son temps au maître pendant la durée du contrat ; elle ne pouvait se marier sans autorisation. Mais, bah ! se disait Hikusen, à des circonstances extraordinaires, il faut des résolutions exceptionnelles, et bien certainement Yotsu, son ami, ne se refuserait pas à favoriser leur bonheur.

Sur ces beaux projets, sur ces illusions, la missive désolée de Nézumi tomba comme la neige tardive sur les fleurs du printemps. Le jeune homme fut tout bouleversé par l’annonce de cette rigueur inattendue, et la dernière phrase, surtout, l’irrita vivement.

— Quoi ! ce Yotsu, cet homme laid et ridicule, prétend m’intimider, moi, Hikusen, le descendant des seigneurs de Taratori, célèbres dans tout le Nippon pour leur vaillance. Non seulement il contrecarre mes projets, mais encore il prétend m’interdire jusqu’à la route qui passe au bord de son palais, et qui, pourtant, est à tous, même aux mendiants ; si on l’écoutait, vraiment, ne faudrait-il pas quitter jusqu’à la province, parce que ce vieux fou a chez lui une servante à laquelle il tient !

À se monter ainsi, Hikusen en arriva bientôt aux extrêmes ; d’une voix irritée, il demanda ses sabres, et d’un pas fébrile, prit le chemin du palais de Yotsu.

V

Celui-ci était précisément sur la terrasse de sa maison, arpentant nerveusement le plancher pour calmer un reste de fureur qui grondait en lui. De là, comme l’on sait, il apercevait la route dans ses détours, et, lorsqu’il vit venir Hikusen, il sentit se réveiller les sentiments divers qui l’avaient mis hors de lui quelques heures auparavant. Le voilà donc, ce bellâtre, triste héritier d’ancêtres fiers et vaillants ! Il se moquait des gens plus âgés que lui, et il courtisait les servantes, sans souci de l’opinion de ses pairs et de