Page:Chénier - Œuvres en prose éd. Moland, 1879.djvu/132

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e de tristes infamies nous avons vues eu pure perte ! Les dénonciations les plus vagues et les plus odieuses accueillies avec éloge ; les parentés, les amitiés, suspectes ou perfides ; les épanchements d’une confiance antique portés à une audience ; des convives ne rougissant pas de venir révéler les propos tenus à la table hospitalière ou ils s’étaient assis ; des citoyens, assemblés en espèce de tribunal, ne rougissant pas de recevoir cette honteuse déposition ; des écrivains ne rougissant pas de décorer du nom de civisme cette lâcheté méprisable. Nous respirions ; le mauvais succès de ces délateurs les avait réduits au silence : et voilà que des sociétés entières les excitent de nouveau, les appellent au secours de la patrie, se déclarent solidaires pour eux. Je suis persuadé que de bonnes intentions ont dicté ces démarches ; mais quel en peut être l’effet ? Elles rendront les délations plus fréquentes : les rendront-elles plus croyables, plus vraies, plus utiles ? Si une délation accompagnée de preuves est l’acte d’un bon citoyen, un amas de délations bientôt reconnues fausses n’a-t-il pas deux effets nuisibles : d’effrayer les gens de bien, et de rassurer les méchants ? N’a-t-il pas celui de corrompre les hommes simples ? de les rendre haineux et malveillants, de leur inspirer de la méfiance contre le tribunal dont la décision ne justifiera pas leur préjugé ? de leur laisser une longue prévention contre des accusés absous ? ce qui n’est pas à négliger dans une constitution comme la nôtre, où une ambition honnête n’a d’autre voie pour s’élever que l’estime et le suffrage