Page:Chénier - Œuvres en prose éd. Moland, 1879.djvu/133

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public ; et surtout aujourd’hui, une telle mesure n’est-elle pas plus imprudente que jamais ?

Encore une fois, je ne suis pas de ceux qui, prêts à imiter eux-mêmes les emportements qu’ils blâment, attribuent d’abord à toute une société les projets les plus désastreux et les vues les plus criminelles : je sais que, dans tous les temps où de grandes nouveautés et de puissants intérêts font naître des troubles et des factions, beaucoup d’hommes aveugles et passionnés, mais honnêtes, sont entraînés par trois ou quatre méchants habiles et ambitieux ; mais il est déplorable que ces sociétés ne voient pas que, par un tel exemple, elles contribuent à tenir le peuple entier dans cette agitation qui éloigne tout établissement. Ces commotions se communiquent au loin ; tout s’agite : la vraie populace, c’est-à-dire, cette partie du peuple qui n’a ni propriété, ni domicile, ni industrie, devient l’arme de qui veut s’en servir : de-là pillages, meurtres, incendies, attroupements séditieux qui demandent des têtes, qui menacent l’Assemblée nationale elle-même, qui s’appellent insolemment la nation, comme si les citoyens paisibles, qui vaquent à leurs affaires domestiques en obéissant aux lois, étaient des esclaves ou des étrangers. Des écrivains avides alimentent ce feu, sachant que, dans les temps de trouble, on n’est pas lu et on ne vend pas ses feuilles, si l’on parle de concorde et de raison. Chaque jour, quelque nouveau crime, quelque nouveau danger est pathétiquement révélé aux plus crédules, pour leur apprendre à inquiéter, à tourmenter au hasard ceux qu’on leur désigne comme ennemis ; à ressusciter cette exécrable