Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/329

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Je n’ai point voulu fuir. Pourquoi tous ces apprêts ?
Sa beauté pouvait tout ; mon âme sans défense
N’a point contre ses yeux cherché de résistance.
Oui, je brûle ; ô D’…z… ! laisse-moi du repos.
Je brûle ; oh ! de mon cœur éloigne ces flambeaux.
Ah ! plutôt que souffrir ces douleurs insensées,
Combien j’aimerais mieux sur les Alpes glacées
Être une pierre aride, ou dans le sein des mers
Un roc battu des vents, battu des flots amers !
Ô terre ! ô mer ! je brûle. Un poison moins rapide
Sut venger le centaure et consumer Alcide.
Tel que le faon blessé fuit, court ; mais dans son flanc
Traîne le plomb mortel qui fait couler son sang ;
Ainsi là, dans mon cœur, errant à l’aventure,
Je porte cette belle, auteur de ma blessure.
Marne, Seine, Apollon n’est plus dans vos forêts,
Je ne le trouve plus dans vos antres secrets.
Ah ! si je vais encor rêver sous vos ombrages,
Ce n’est plus que d’amour. Du sein de vos feuillages,
D’…z…, fantôme aimé, m’environne, me suit
De bocage en bocage, et m’attire et me fuit.
Si dans mes tristes murs je me cherche un asile,
Hélas ! contre l’amour en est-il un tranquille ?
Si de livres, d’écrits, de sphères, de beaux-arts,
Contre elle, contre lui je me fais des remparts ;
À l’aspect de l’amour une terreur subite
Met bientôt les beaux-arts et les Muses en fuite.
Taciturne, mon front appuyé sur ma main,
D’elle seule occupé, mes jours coulent en vain.
Si j’écris, son nom seul est tombé de ma plume ;
Si je prends au hasard quelque docte volume,