Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/233

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L’admiration rit, la contemplant si belle,
Et d’un cri l’applaudit et s’élance après elle.
L’amour mystérieux, dans le bois à l’écart,
Seul, timide, muet, la suit d’un long regard.
Elle n’ose point voir l’œil de l’amour timide ;
Elle ignore l’envie à l’œil faux et livide ;
Elle sourit aux cris du tumulte joyeux
Qui l’applaudit de loin, le plaisir dans les yeux[1].


Debout sur son char elle élève sa tête divine, ses cheveux sont relevés négligemment et flottent derrière elle sous un casque couvert de plumes agiles, son fouet frappe les airs, elle agite les rênes, elle anime ses coursiers orgueilleux d’un si beau fardeau.


Courez, volez, mes beaux coursiers.


Quoi ! (un nom de cheval) tu te ralentis. C’est donc en vain que tu as des jambes si fines… C’est donc en vain que je t’aimais… Tes yeux roulaient du feu quand tu me voyais venir te caresser… Va, je n’irai plus moi-même présenter à ta bouche le frein qui doit te conduire ; mes doigts n’iront plus s’envelopper dans ta crinière dorée, et ma main caressante ne fera plus retentir tes flancs ni ta poitrine. Et vous (d’autres noms de chevaux), redoublez d’ardeur. Je vous ferai faire de beaux harnais ; j’entrelacerai moi-même des rubans dans vos crinières flottantes ; vous mangerez du pain dans ma belle main.


Courez, volez, mes beaux coursiers.


Ils reconnaissent la voix de l’héroïne. Ils frémissent, ils bondissent, leurs yeux s’enflamment, leurs oreilles se dres-

  1. Ce vers peut rappeler celui de Malherbe, dans l’ode sur la prise de Marseille :

    Du plaisir de sa chute a fait rire les yeux.