Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/216

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qu’on pourrait appeler la nature polyédrique de son esprit, et aussi la grande difficulté de réduire, en quelques simples formules, une vision des choses qui s’éclaire à des foyers divers, un organisme dont les racines vivifiantes divergent en tous sens ! Ici encore, nous constatons l’énorme distance qui sépare le philosophe, — qui, conformément aux lois constitutives de notre raison, cherche et doit chercher à tout simplifier, à tout ramener, si possible, à un seul principe causal, — de l’artiste, du voyant, qui proclame ce qu’il voit, et qui ne se soucie guère plus que la nature elle-même des étroites exigences de notre machine à penser !

Sans doute, Wagner prêche le végétérianisme, mais il ne s’en tient pas là. Son instinct philosophique était si sûr et si profond, qu’il devait, de tout temps, se rendre compte de l’étroite solidarité qui existe entre l’homme et la nature, et par conséquent reconnaître la force toute-puissante de la nécessité naturelle, comme aussi le reflet pessimiste qui ne pouvait manquer d’en rejaillir sur toute tentativederégénération. Mais, d’autre part, sa vie émotionnelle, le meilleur de son âme, étaient voués à cet Art qu’il concevait comme « absolument un avec la vraie religion », et ce n’étaient point des remèdes matériels ou métaphysiques qui pouvaient, à eux seuls, amener la régénération, puisque, bien au contraire, « tout véritable élan, toute force vraiment suffisante à l’accomplissement de la grande régénération, ne sauraient jaillir que du sol profond d’une religion véritable ».

On dirait donc trois mondes juxtaposés : l’un matériel et empirique, l’autre, transcendant et métaphysique, le troisième, mystique et religieux ; l’Art est l’élément qui les relie et les unifie, car sa forme est matérielle, son contenu transcendant, sa signification