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Page:Chambon - Notes sur Prosper Mérimée, 1902.djvu/194

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[68 NOTES SUR PROSPER MÉRIMÉE

ici-bas, je suis plus tenté de croire au diable qu'au bon Dieu. Nous voici en plein gâchis et je porte défi au plus habile de deviner comment et quand nous en pourrons sortir. J'espère pourtant ne pas voir le pays cosaque aussi lestement que vous le craignez. Une invasion avait beau jeu en 1814 et 181 5, mais je crois fermement qu'aujourd'hui les envahisseurs auraient avant d'arriver à Paris un fier écheveau de filasse à débrouiller. Jamais vous ne pourrez vous faire une juste idée de la cruelle scène que tout le monde a eue sous les yeux le jeudi de la réception royale. Chacun reniflait et retenait ses larmes de son mieux, en passant devant ce vieillard sanglottant sur un trône. C'était là un de ces contrastes que l'on n'oublie pas très vite.

« Avant-hier s'est faite la translation de ce pauvre prince à Notre Dame. En masse la population s'est bien comportée, avec décence, avec curiosité assez voisine du recueillement, ce qui n'a pas empêché des frères et amis • de grimper sur les arbres des Champs Elysées, et de siffler un cadavre. C'est là une de ces odieuses lâchetés qu'on ne pourrait, je crois, rencontrer ailleurs que dans la canaille de Paris, la plus turpe de toutes les canailles du pays le plus civilisé !

« Je suis rentré à Paris aussitôt que j'ai eu appris le cruel événement de la porte Maillot, de sorte que je suis à mon poste de ferrailleur depuis le 16 du mois dernier, attendant l'occasion de m'y faire casser les reins par les Titis patriotes. Je piochotte toujours ung petit par là, faisant de la croisade, du punique, et autres ordures quand

1. Cop. : d'amis.