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Page:Chambon - Notes sur Prosper Mérimée, 1902.djvu/350

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)ï/\ NOTES SUR PROSPfcR MERIMEE

jolies. Je voudrais être poète pour vous faire leurs por- traits. Mais je ne suis qu'un « plain prosaïc matteroi fact man » et je ne trouve d'autres comparaisons pour leurs yeux que des portes cochères, de l'encre pour leurs che- veux et des pieds d'enfants ou les vôtres pour leurs pieds. Les Espagnoles ont une attitude et une marche qui jettent les étrangers dans une rêverie profonde. La nature a été prodigue de ses biens pour elles et les a répartis avec tant de précision qu'elles se tiennent fort droites en vertu d'une loi de statique d'après laquelle les corps sol- licités en sens contraire par des poids considérables, demeurent dans un équilibre parfait. Quel dommage d'être vieux! Tout ce petit monde a de l'esprit, assez peu d'éducation, mais une bonne foi et une bonhomie admirables. Ajoutez encore une coquetterie instinctive, et, à ce qu'on dit, des passions ardentes. On s'y livre beaucoup, malgré les progrés du régime constitutionnel et du romantisme. Chacun a sa chacune à Madrid ; ce qui ne veut pas dire que quelques-unes n'aient plus d'un cha- cun. On en médit d'une manière atroce, mais cela ne tire pas à conséquence et on permet à chacun de prendre son plaisir où il le trouve. Il me semble qu'on a ici les mœurs de 1750 en France avec cette différence très im- portante que l'on y fait l'amour avec le cœur, tandis qu'au milieu du xvm e siècle, il n'y avait guère que l'esprit qui fût de la partie. Depuis le mariage que vous savez, toutes les demoiselles espagnoles veulent attraper un em- pereur, toutes veulent aller à Paris ou ailleurs où l'on puisse rencontrer quelque couronne I , Cela n'empêche

1 . Cf. Lettres à une inconnue ; Une correspondance inédite, et lettre à Boissonade du 10 novembre dans Lettres inédites, p. 42-47.