Aller au contenu

Page:Chambon - Notes sur Prosper Mérimée, 1902.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

4 2

NOTES SUR PROSPKK MÉRIMÉE

riait de mes chagrins. La puissance de son esprit tue fas- cina entièrement ; pendant huit jours je crus qu'il avait le secret du bonheur, qu'il me l'apprendrait, que sa dédair gneuse insouciance me guérirait de mes puériles suscepti- bilités. Je croyais qu'il avait souffert comme moi, et qu'il avait triomphé de sa sensibilité extérieure. Je ne sais pas encore si je me suis trompée, si cet homme est fort par sa grandeur ou par sa pauvreté. Je suis toujours portée à croire le premier cas. Mais à présent peu m'importe.

« Je ne me convainquis pas assez d'une chose c'est que j'étais absolument et complètement Lélia. Je voulus me persuader que non; j'espérais pouvoir abjurer ce rôle froid et odieux. Je voyais à mes côtés une femme sans frein, et elle était sublime; moi, austère et presque vierge, j'étais hideuse dans mon égoïsme et dans mon isolement. J'essayai de vaincre ma nature, d'oublier les mécomptes du passé. Cet homme qui ne voulait m'aimer qu'à une condition, et qui savait me faire désirer son amour, me persuadait qu'il pouvait exister pour moi une sorte d'amour supportable aux sens, enivrant à l'âme. Je l'avais compris comme cela jadis, et je me disais que peut- ête n'avais-je pas assez connu l'amour moral pour tolérer l'autre; j'étais atteinte de cette inquiétude romanesque, de cette fatigue qui donne des vertiges et qui fait qu'après avoir tout nié, on remet tout en question... Enfin je me conduisis à trente ans comme une fille de quinze ne l'eût pas fait.

« ...Le reste de l'histoire est odieux à raconter...

« L'expérience manqua complètement. Je pleurai de souffrance, de dégoût et de découragement. Au lieu de trouver une affection capable de me plaindre et de me